Ce jour là, une randonnée
était prévue pour la journée, puis Tintin m’annonce
un imprévu car des funérailles ont lieu à Koundou,
un village à 3 heures de marche et il me demande si cela ne me
gêne pas de l’y accompagner .
Cet
homme vivait à Youga Na mais était originaire de Koundou,
il doit donc être enterré dans son village de naissance
comme le veut la tradition. Le terme enterré est impropre puisque
le cimetière est situé dans des grottes dans la falaise,
souvent à plusieurs dizaines de mètres; le corps attaché
à une corde à base d’écorces de baobab est
hissé par de jeunes villageois. Chaque grotte funéraire
est réservée à une catégorie: une pour les
dignitaires, les hommes, les femmes, les enfants, les bâtards
(enfant nés d'adultère).
Il est décédé depuis
quelques temps déjà, mais la famille ne célèbre
les funérailles qu’après avoir réuni les
provisions et victuailles nécessaires à accueillir les
villages alentours selon le rang du défunt. Quelques fois les
funérailles sont organisées rapidement mais le temps de
porter la nouvelle dans les villages voire les pays les plus lointains
car les Dogons sont présents dans de nombreux pays de l’Afrique
subsaharienne, cela nécessite des délais importants. Nous
partons de bon matin, nous croisons de nombreux hommes et femmes qui
se rendent aux funérailles avec chacun leur offrande, la plupart
du temps sous forme de quelques kilos de mil. Nous déjeunons
à Kundou le village du bas. Les tam-tams et tambourins sonnent
depuis la veille, la nuit je les avais bien entendus résonner
au loin sans en connaître l’origine. Il n’y a pas
de touristes, seul un groupe qui passait par là s’est arrêté
quelques heures. Tintin m’explique que si je veux prendre des
photos sans être inquiété je dois comme lui aller
présenter mes condoléances à la famille. Sitôt
dit sitôt fait, j’explique que mon mil à moi est
resté à Paris mais un billet de 5000 Francs CFA fera l’affaire,
je me perds en salamaleck déplorant la vie qui s’interrompt
et la douleur de ceux qui restent. A voir la veuve il devait déjà
être bien âgé et méritait surement le repos
éternel. On m’offre la bière de mil à la
calebasse, c’est frais et çà désaltère,
j’en suis un fervent amateur déjà.
Alcoolisée
à seulement 2 ou 3°, elle est très excitante pour
cette population qui boit rarement de l'alcool. Les jeunes pendant les
fêtes s’en nourrissent pour jouer du tam-tam toute la nuit
et pour danser. La bière de mil, appelée aussi «
Dolo » est un rituel, un symbole des fêtes traditionnelles
on peut l'offrir aussi à un autre village lors des cérémonies
du Sigui.
De toute part des villages aux alentours
de la falaise la population a convergé vers Koundou, avertis
par le "bouche à oreille", les bruits des tam-tams
et des tambourins. Le village ressemble à une fourmilière
dont la population s’est accrue démesurément, il
faut se faufiler dans les rues comme dans le métro aux pires
heures d’affluence. Tout ce monde s’est paré de ses
vêtements les plus beaux, surtout les femmes et les jeunes filles,
pour un dernier adieu au défunt et peut être une occasion
de réunir la communauté dans ce qui ressemble plutôt
à une fête qui va durer jusqu’à l’aube.
A cette occasion la bière de mil préparée de longue
date coule à flot ainsi que les victuailles : moutons, chèvres,
légumes, oignons, sauces, couscous et mil sont là pour
nourrir la famille, les participants, danseurs et proches.
Tout d’abord sur la place du village
où tout le monde s’est réuni il est procédé
au tir de salves de fusils à poudre noire desquels sortent des
flammes d’au moins 30 cm. Tintin
me met n garde pour ne pas trop s’approcher car les tireurs excités
par la bière de mil ne maitrisent pas toujours la direction des
salves. Il me montre une femme ayant une partie du visage brulé
par une flamme.
Puis
vient la cérémonie des « masques », portés
par des jeunes gens eux aussi excités par l’ambiance festive,
ces masques sont issus d'une tradition millénaire:
masques lapin, hyène, antilope, vautour, masques case etc. Le
masque serpent de plusieurs mètres de haut n'est sont portés
qu'en de rares circonstances comme la fête du sigui. La cérémonie
des masques représente la transition et l'accompagnement du monde
des vivants vers l'au-delà, celui des ancêtres. Les danses
rituelles représentent les scènes symboliques de la vie
villageoise, celle du défunt, elles ont aussi pour but de chasser
les mauvais esprits et protéger son âme.
Le griot est là, il est grand,
l’air grave, vêtu de sa tenue bleu indigo et un turban blanc,
il rythme les chants avec son tambourin qu’il frappe avec une
baguette courbée.
Nous
l’avions déjà rencontré à Koundou
d’en bas deux jours avant, Tintin lui avait fait offrande de 1000
F CFA.
Puis vient le moment du sacrifice où un bouc situé sur
la terrasse d’une maison (c’est souvent la maison du défunt)
va passer de vie à trépas. On verse du lait sur la terrasse
symbole de l’offrande aux ancêtres.
Quand
on célèbre les funérailles d’un homme c’est
un bouc qui est sacrifié pendant la cérémonie,
on lui coupe les testicules alors qu’il est encore vivant puis
on lui tranche la gorge et on asperge la maison et le sol avec le sang.
Si la défunte est une femme c’est une chèvre qui
est sacrifiée, mais ce sacrifice n’a pas lieu au milieu
de la foule et (« on la pique » selon les termes de Tintin,
on lui transperce probablement le cœur, pratique moins sanglante
et moins spectaculaire.
Puis la veuve apparait poitrine nue
en brandissant deux calebasses dont l’une est cassée. Celle-ci
symbolise la vie qui s’arrête. La tradition Dogon veut aussi
que lors d’un décès l’on casse les outils
de travail du défunt, ici pourquoi la calebasse je ne sais pas.
Sur ce sujet il faut voir le film des funérailles de Jean Rouch
en pays Dogon où pour les besoins on a reconstitué une
caméra factice pour la briser lors de ses funérailles
dans la falaise de Bandiagara au pays Dogon trois ans après son
décès en 2004. Jean Rouch a beaucoup filmé l’Afrique
et nombre de ces films portent sur le pays Dogon rassemblés dans
le DVD « le peuple sur la falaise ».
L’ambiance est festive, un groupe
de touriste passe par là car ce village est sur la route des
circuits de randonnées du pays Dogon des tours opérateurs
puis ils repartent après quelques temps.
Tout le monde se dirige vers une clairière, un groupe monte au
sommet de la colline pour y casser des branchages puis quand ils redescendent
(quel symbole ?) les lancent sur ceux qui sont restés en bas.
Pendant
ce temps des femmes chantent les scènes de la vie, ainsi que
le griot. Il est grand, l’air grave, il rythme les chants avec
son tambourin.
Nous sommes juchés sur les murs entourant cette clairière,
des jeunes filles vendent des gâteaux, j’en achète
et les distribue autour de moi. Je prends des photos et les montre à
mon entourage, certains sont ravis d’autres font la moue, les
Dogons pensent que les touristes qui font des photos avec eux les vendent
très cher dans des magazines. C’est surement la récente
profusion des émissions de télévision et autres
reportages des magazines qui leur fait croire cela.
A coté de moi une gamine me sourit
probablement curieuse de mon attirail photographique, c’est Helga
je lui fais un peu de place pour voir au loin et Tintin traduit mes
questions et ses réponses.
Elle
a 10 ans en parait plus selon mes critères, grande et souriante,
elle habite à Koundou d’en haut où nous irons dormir
ce soir dans un gîte « chez Dara ». Dara est aussi
le nom des habitants de Koudou de même que Doumbo est celui des
habitants de Youga Nah. Elle n’est jamais allée à
l’école car étant l’ainée de la famille
elle assume les tâches ménagères pour élever
ses frères et sœurs. Elle est souriante, l’air curieuse
et intelligente, elle semble avoir confiance en moi, un lien semble
nous rapprocher, est-ce la confiance qu’elle a en Tintin ou la
curiosité de l’étranger que je suis? Je n’ose
pas penser que c’est la vénalité à cause
des gâteaux que je lui ai offerts, ainsi qu’aux autres gamines
alentours. Bref nous sommes devenus « copains » sans pouvoir
échanger autre chose que des sourires.
Les villageois redescendent de la falaise
les branches pleuvent sur ceux qui ne sont pas montés, on se
protège et on renvoie ces branchages à ceux qui les ont
lancés, s’agit-il d’un simple jeu, d’un symbole
? La nuit tombe vite, tintin me fait signe de rejoindre le gite à
Koundou da. Helga nous suit car elle y habite aussi, nous traversons
le village et nous partons dans les chemins escarpés vers la
falaise à la nuit tombante. De nombreuses failles sont à
franchir, Helga me tient la main sans me lâcher dans la nuit simplement
éclairée d’un rayon de lune, est-ce pour assurer
mon cheminement dans cette falaise rocailleuse ou un signe d’amitié,
un sentiment de reconnaissance, je ne le saurai jamais. Le matin, lever
tôt, petit déjeuner chez Dara et retour par le même
chemin à Youga Na. Là, surprise. Helga accompagné
d’un autre gamin de 5 ou 6 ans, son frère peut être,
est là, grande et majestueuse pour me dire au revoir, embrassades
et salamalecks,
dans
ces situations on mesure toute la difficulté à communiquer
sans connaître la langue des autochtones pour lui dire toute ma
sympathie et mes émotions, j’aurais aimé la connaître
un peu plus, nous poursuivons notre route.